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SOCCERPLEXE
CATALOGNA


La maison du football Montréalais



Écrit par: Jason Gisoo Kim
Photographie: Aldo Stephano Ramirez



Chutes de neige, vents violents et glaçons accrochés aux toits des abribus. Les rues sont calmes dans le quartier ouvrier de Lachine, un important centre industriel au sud-ouest de Montréal. Parmi les immeubles de la classe ouvrière, les duplex et les bâtiments industriels, se trouvent un autre entrepôt avec un nom particulier épinglé sur son mur : "Soccerplexe Catalogna". Dans les conditions hivernales rigoureuses et le calme relatif du quartier, les voitures affluent dans son parking. Tandis que d'autres descendent du bus à un pâté de maisons de là, Soccerplexe Catalogna invite tout le monde à franchir ses portes et à échapper aux températures glaciales.

Le Soccerplexe est adjacent à l'une des principales artères de Montréal, l'autoroute 20, la même que celle que l'on emprunte pour se rendre à Toronto depuis le centre-ville. Cette section de l'autoroute est un point d'échange majeur entre les routes en provenance de Laval, du centre-ville, de l'ouest de l'île, de Châteauguay et de Kahnawake. Le Soccerplexe devient une plaque tournante pour les joueurs qui viennent de l'île et de ses environs, un véritable lieu de rassemblement.







Cette institution du football est un pilier de la culture du soccer Montréalais. Il s'agit du premier complexe sportif dédié au soccer sur l'île. Il a notamment déjà été le centre d'entraînement de l'Impact de Montréal (aujourd’hui portant le nom de CF Montréal), le terrain de l’équipe collégiale des Blues de Dawson, le siège social du soccer du Lac-Saint-Louis et l'endroit où j'ai vraiment eu le coup de foudre pour ce sport. Enfant, c'est à cet endroit que j'ai assisté pour la toute première fois à une compétition de soccer féminine. C'est un endroit où j'ai gagné des titres et perdu d'innombrables matchs. J'ai franchi les portes de Catalogna dans les meilleures et les plus sombres périodes de ma vie, un élément constant et fiable. Je ne suis pas le seul, il a fait partie de la vie de presque tous les joueurs de football de la ville. À l'été 2021, le Soccerplexe Catalogna a annoncé qu'il fermerait ses portes. Le complexe bien-aimé cédera la place à de nouveaux appartements.

Dans ce journal, je m'adresse à trois femmes qui ont grandi en jouant au Soccerplexe. Mary-Ann, Leah et Bianca ont toutes des histoires différentes mais convergent toutes au même endroit.

Mary-Ann se souvient de ses premières expériences au Soccerplexe en tant que lieu de rassemblement de la communauté roumaine : "J'étais très jeune et c'était la première fois que je venais à Catalogna, mon père jouait au football à l'époque. [...] Il y avait une petite communauté roumaine qui se réunissait à Catalogna le samedi soir." Mary-Ann regardait son père jouer chaque semaine, au point que son père a voulu qu'elle commence à jouer, "ça avait l'air tellement amusant et je voulais impressionner mon père, c'est comme ça que je m'y suis mise".
 




L'expérience initiale de Mary-Ann était basée sur Catalogna en tant qu'espace favorisant une expérience communautaire. Quant à Leah, elle, se souvient de sa première expérience à l'âge de douze ans, lors de sa première année de football interurbain : "C'était un endroit immense, je pense que nous sommes entrés par la porte d'entrée, puis sommes entrés dans le dôme. L'excitation était palpable. Mais les enfants de douze ans sont toujours excités par tout. Mais là, c'était tout nouveau, parce qu'on avait toujours joué dehors et qu'on n'avait jamais joué à l'intérieur auparavant. La nouveauté de l'expérience du dôme pendant l'hiver a fait de Catalogna un endroit spécial. 

La première impression de chacun semble être marquée par l'admiration et la fascination. Pour Bianca, la première fois qu'elle est entrée dans le Soccerplexe, "c'était impressionnant, Quand je suis entrée, je me suis demandé quel genre d’endroit est-ce que c'était". Pour tout footballeur, et surtout pour une amoureuse du ballon rond comme Bianca, c'est le terrain qui a attiré son attention : Et puis j'ai vu tellement de terrains de football que je me suis dit : "Whoa ! Qu'est-ce qui se passe ? Mais après avoir joué un match là-bas, j'y suis toujours retournée".

La particularité de Catalogna ne réside pas seulement dans ses installations intérieures, mais aussi dans le nombre de matchs qui s'y déroulent simultanément. Catalogna possède deux terrains de taille normale. Un terrain se trouvant à l'intérieur du Soccerplexe et un autre à l'extérieur, là où le dôme était érigé durant l'hiver. Chaque terrain est divisé en trois pour le football à sept, avec des lignes de démarcation et des surfaces de réparation. Ainsi, Catalogna a la capacité d’accueillir six matchs en même temps. Aujourd'hui, cela n'a rien d'extraordinaire, mais pour le Montréal des années 2000, il s'agissait d'une véritable révolution.




La nouveauté en matière de football dans la Mecque du hockey au Canada a fait de ce lieu un endroit spécial pour les joueurs. À l'époque, il s'agissait d'une installation unique qui offrait des possibilités de football inégalées en hiver. Le Soccerplexe Catalogna était florissant et vivant. Mary-Ann se souvient d'avoir pénétré le Soccerplexe à cette époque : "Je pense que j'avais peut-être 12 ans et que tout m'est tombé dessus. C'était plein à craquer, on entrait et on n'avait nulle part où aller [...] On se faufilait entre les gens". Leah décrit l'emplacement de Catalogna comme "le cœur de la communauté du football". Du moins dans cette région de l'île, ou sur l'île en général. Tout le monde le connaît". En outre, la particularité de Catalogna est qu'il s'agit d'un espace pour tous les fans de football. Quel que soit l'âge, le sexe, la sexualité ou la origine, si vous aimez taper dans un ballon, cet endroit est fait pour vous.

L'une de mes premières impressions sur Catalogna a été la présence d'athlètes féminines. Des joueuses qui ont joué à différents niveaux et qui ont trouvé leur place ici. Il était donc essentiel pour moi de parler aux joueuses de leur expérience.. C'était la première fois que je voyais du football féminin en personne. J'ai été stupéfait. Pour Leah, malgré le football féminin au Canada canadien est enfin reconnu à sa juste valeur: "à l'époque, les gens ne s'y intéressaient pas vraiment, n'est-ce pas ?" Le sport masculin a toujours reçu le plus d'attention. Cependant, au Soccerplexe Catalogna, tous les joueurs étaient les bienvenus. Le football féminin à Montréal a pu s'épanouir et se développer. C'est ce qu'a remarqué Leah : "C'était tellement intéressant de voir un groupe de femmes jouer aussi, parce qu'on se dit, oh mon Dieu. Je pourrais être comme ça aussi. Vous savez, je pourrais le faire aussi, si je m'entraînais aussi dur qu'elles, si je travaillais aussi dur qu'elles, je pourrais le faire [...] C'est assez puissant. C'est vraiment cool." La force du Soccerplexe était de favoriser un sentiment de communauté parmi tous les joueurs. La ligue féminine a prospéré parce que les joueuses étaient considérées comme des pairs et non comme des "autres".





C'était un endroit où tout était distillé sous forme de football pur. Pour Mary-Ann, il a favorisé l'émergence d'un sentiment de communauté entre individus : "On se sent inclus. Il y a toujours quelqu'un à qui parler et nous sommes tous là pour le football". À l'âge de douze ans, Mary-Ann a pris conscience du pouvoir du Soccerplexe en tant que centre communautaire. Elle a compris que le dimanche après-midi, Catalogna était l'endroit où il fallait être.

Outre la nouveauté qu’il représentait en tant que complexe sportif, le Soccerplexe disposait de son propre bar sportif, le "Bar Le Kick". Ce bar est porteur de nombreux souvenirs: un endroit où l'on se détend après un match et où l'on mange des repas de qualité à des prix abordables, notamment leur pizza cuite dans de véritables fours napolitains. Toutes les femmes à qui j'ai parlé pour cet article s'accordent à dire que les pizzas sont de première qualité. Le bar est essentiel, car il fournit non seulement le lubrifiant social qu'est l'alcool, mais aussi un espace où l'on peut se rencontrer autour d'un repas ou d'une boisson.

Mary-Ann se souvient des difficultés rencontrées dans d'autres installations de football lorsqu'elle cherchait un endroit pour se détendre après les matchs. "Qu'est-ce qu'il y a dans le coin ? Qu'est-ce qui est ouvert ? Y a-t-il de la nourriture ? Y a-t-il de l'alcool ? Vous savez, c'est tellement compliqué alors qu'au Soccerplexe, c'est pratique, ils ont tout et c'est de la bonne pizza, vraiment de la bonne pizza". À Montréal, les liens sociaux se tissent souvent autour d'un repas et, accompagné d’un verre, on peut en apprendre beaucoup sur une personne.La vision du monde, le sens de l'humour et la personnalité de chacun émergent dans les restaurants. On se comprend.






Associé à un match de football, le lien que vous créez avec les gens peut être profond. Cela ajoute à la magie du Soccerplexe Catalogna: des communautés se créent grâce au beau jeu et à des repas satisfaisants. Que l'on gagne ou que l'on perde, ce bar était indispensable. Cela dit, il s'agit toujours d'un bar, et la débauche n'est jamais très loin. Mais ai-je mentionné que les frites étaient excellentes ? Avec la fermeture du Soccerplexe, où les gens iront-ils boire un verre après le match ?

Alors que la date de fermeture du Soccerplexe Catalogna approche, nombreux sont ceux qui se demandent où ils pourront jouer. Quel est le centre le plus proche et le plus pratique ? Ce sont des questions qui se poseront dans un avenir proche. En attendant, beaucoup réfléchissent au temps qu'ils ont passé au Soccerplexe et à l'importance qu'il a eu pour eux. Bianca partage qu'il sera difficile de remplacer Catalogna: "Je suis vraiment triste. C'est un endroit où j'ai passé la plus grande partie de ma jeunesse. C'est vraiment difficile." Comme indiqué précédemment, le Soccerplexe cédera la place à de nouveaux appartements, ce qui entraînera la démolition de l'édifice. Bianca ajoute qu'il y a suffisamment de place pour de nouveaux appartements sur l'île, "au lieu de démolir des choses qui sont spéciales pour les gens".

Pour Mary-Ann, Catalogna est devenu une seconde maison. Elle joue à Catalogna depuis l'âge de six ans, ce qui représente vingt-deux ans de souvenirs, "toute ma vie de footballeuse s'est déroulée là. C'est comme si je l'appelais ma deuxième maison". Leah se souvient de la nature particulière du Soccerplexe. "J'ai joué dans toute la ville et nous revenions toujours à Catalogna". L'emplacement de l'installation l'a rendue attrayante pour beaucoup, mais après des années d'évolution en tant que joueuse et personne, le Soccerplexe est devenu bien plus qu'un simple espace.

Pour ces femmes, c'est au Soccerplexe que leur amour du football s'est concrétisé. C'est ici qu'elles ont commencé à jouer en compétition, qu'elles ont connu leur première défaite dévastatrice ou ressenti l'émotion d'une victoire. À l'aube d'une nouvelle étape de leur vie, Soccerplexe Catalogna est devenu un foyer. Un lieu de refuge pour oublier la semaine et se retrouver entre homologues, telle une église.





Le Soccerplexe Catalogna est en activité depuis 2001, mais sera bientôt démoli et remplacé par l'une des grandes tendances de l'embourgeoisement : les condominiums. L'arrondissement ouvrier de Lachine est devenu un lieu propice à l'embourgeoisement. Ce n'était qu'une question de temps. Cependant, les membres de la communauté du soccer de Montréal n'auraient jamais imaginé que le Soccerplexe serait victime d'une telle tendance immobilière. Alors que nous disons au revoir à notre bien-aimé, il est important de profiter du temps qu'il nous reste. Comme l'a dit Leah :

"Mais c'est bien. Et c'est aussi quelque chose à laquelle il faut attendre avec impatience, de revenir au Soccerplexe car si votre meilleur souvenir n'est pas encore arrivé, vous ne savez jamais quand il arrivera. Alors oui, chaque jour peut être votre meilleur souvenir".  

En même temps, la plupart des Québécois d'avant les années 60 n'auraient jamais anticipé que leurs chères églises catholiques se vidaient lentement dans un Québec de plus en plus sécularisé. Qu'adviendra-t-il de ces églises ? Si elles ne sont pas utilisées par des immigrants catholiques venus de loin, elles sont converties en condominiums. Le Soccerplexe Catalogna était mon église. C'est là que j'ai renforcé mes liens sociaux. C'est là que j'ai renforcé mes liens sociaux, que je me suis exprimé de manière authentique et que les problèmes de la semaine se sont dissipés au profit de l'euphorie du coureur.

Contrairement au catholicisme canadien-français, le football est en pleine croissance, il est dommage de perdre un tel espace. Reléguer une fondation essentielle du football montréalais dans les mémoires de l'histoire locale est une erreur. Ne pas être témoin de l'avenir du football à Montréal est l’équivalent d’un jardinier ne pouvant pas goûter à sa récolte. Peut-être suis-je trop romantique à l'égard d'un lieu inanimé. Cependant, tel un Pèlerin du football, les lieux sont vivants lorsque suffisamment d'énergie humaine et d'amour se sont accumulés dans un endroit particulier. Alors qu'il va fermer ses portes, le Soccerplexe Catalogna restera à jamais dans les mémoires pour l'institution qu'il est. Au cœur du sud-ouest industriel de Montréal, une oasis au bord de l'autoroute.





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